« J’ai le trac », voilà les premiers mots de Pierre Rabhi ce matin à Herve, où il avait été invité par une belle initiative regroupant plusieurs associations locales, dont De Bouche à Oreille, avec qui La Pachamama travaille depuis ses début pour les jeux coopératifs.
Mais cela ne l’a pas empêché d’enchaîner tout de suite avec les questions qui l’habitent et dont il est venu nous parler: où est l’essentiel? On voudrait tous un monde plus positif, mais qu’est-ce qu’on va faire contre la guerre, la destruction, la faim?
Le principal, pour commencer, c’est de faire sa part. Et il évoque la légende amérindienne du colibri: « Lors d’un grand incendie de forêt, tous les animaux s’étaient retranchés en sécurité et regardaient les flammes, impuissants. Le colibri, petit oiseau minuscule, tout menu, plongeait inlassablement dans la rivière pour aller vider son bec rempli d’eau au-dessus des flammes. Le tatou, énervé, lui dit que ça ne sert à rien, que les deux gouttes qu’il verse ne vont jamais éteindre le feu. Et le colibri de lui répondre: je sais, mais moi, je fais ma part« .
Nous sommes dans une époque de transition où la société civile, qui n’est plus tellement prise en compte par le monde politique, invente. Incarner des utopies, c’est trangresser le modèle existant, et c’est indispensable pour évoluer. Décider de respecter le rapport à la Terre, fondamental, c’est servir la Vie plus que la mort. ça passe nécessairement par l’éducation, par des écoles où les enfants ne sont pas mis en compétition mais en coopération, où ils vivent de fraternité et d’apaisement. ça passe aussi par une nécessaire décroissance, une « sobriété heureuse », comme il le dit si bien.
il évoque ensuite longuement son parcours, depuis sa petite enfance où l’oasis algérien dans lequel il est né a été révolutionné par les colons français qui avaient découvert du charbon dans ses sous-sols et envoyaient tout le monde à la mine. Il évoque ses dualités, lui qui a grandi entre l’Algérie et la France, entre l’Islam et la modernité, et qui est ensuite devenu ouvrier spécialisé.
Il nous explique: « Le monde de l’entreprise est pyramidal, et nous étions tout en-dessous. Comment ce microcosme pouvait-il vivre sans rapport à la Terre? Nous travaillions pour servir un système qui nous maintenait dans une fonction de consommateurs, pour ceux d’en haut qui, eux s’aliénaient à la poursuite de l’argent. L’être humain est manipulé: depuis l’école on lui fait croire que le progrès libère l’humain. Mais quelle est cette libération? »
Ensuite, quand il a voulu s’installer dans une petite exploitation, sur une terre aride, sans courant et avec peu d’eau, le Crédit Agricole lui refuse son crédit « pour ne pas l’aider à se suicider »: « Je leur avais dit que l’endroit était beau. Mais ce sont des valeurs qui n’existent pas sur un bilan: personne ne met 1000€ d’air pur, 1200 € de calme, la valeur de la vue sur la nature… C’est pourtant cela qui nous donnait notre énergie, et quand on a une conviction chevillée au corps, on maintient un cap clair. J’ai appris à traire les chèvres, à faire du fromage, à préparer du compost pour travailler la terre« .
Son expérience sur les terres très arides de l’Ardèche l’a emmené au Burkina Faso, où il a fait un énorme travail de reconversion à l’agro-écologie. « Le milieu était très pauvre. Les paysans exportaient du coton, mais les intrants leur étaient avancés financièrement jusqu’à la récolte, et revenaient finalement plus cher que celle-ci, car le coton, une fois sur le marché mondial, était en concurrence avec le coton subsidié« .
Il enchaîne sur une anecdote entendue à la radio: 60% des semences, qui sont la base même de la vie, ont disparu. Cela justifiait l’intervention à l’antenne d’un expert, qui affirmait que « ça justifie les OGM »: « Vous qui diffusez cette conférence, dites que Pierre Rabhi a dit que défendre les OGM, c’est criminel. Il faut protéger les espèces et les variétés qui nous permettent de vivre. Nous disposons de 20 à 30 centimètres de terre nourricière. La nature, la vie, c’est la diversité. Elle a mis des lois pour se protéger et se transformer sans qu’ aucun artifice ne soit nécessaire. Les nitrates utilisés aujourd’hui en abondance étaient, à l’origine, des restes d’explosifs utilisés pendant la guerre, qui ont été réorientés vers la médecine et l’agriculture ».
« L’être humain est fait de flotte principalement, de vie, mais surtout de pensée. C’est ça qui nous différencie: ce mental qui nous tourmente. La Nature nous réapprend les cycles, la patience, les cadences, les règles à intégrer. Elle est initiatique. Une plante traitée aux pesticides ne pourra plus être sensible aux énergies cosmiques, car elle a perdu sa constitution vivante« .
Cet homme qui dégage une grande tendresse insistera à de nombreuses reprises sur le privilège qu’il a eu de vivre cette vie-là. Il terminera en nous rappelant l' »insurrection des consciences« : nous avons toujours le choix, le droit de faire autre chose que de se laisser entraîner par le système. Et par signer un panneau portant l’une de ses citations:
Face à un système qui confique le droit des peuples à se nourrir par eux-mêmes, cultiver son jardin est un acte politique de légitime et pacifique de résistance